24. Les complications ostéo-articulaires chez l’enfant drépanocytaire. - Osteo-articular complications in child with Sikle cell desease

M De Montalembert (Paris)


L’os est un des cibles majeures de la drépanocytose chez l’enfant, sous forme essentiellement de manifestations aiguës, crises vaso-occlusives et infections, et plus rarement à cet âge de manifestations chroniques, ostéopénie et ostéoporose, ostéonécrose aseptique.
Des études ciblées sur le métabolisme phosphocalcique chez l’enfant drépanocytaire laissent entrevoir qu’un trouble du modelage osseux pourrait être responsable du défaut de minéralisation constaté chez la majorité des grands enfants et des adolescents, et qui s’aggrave nettement à l’âge adulte. Les facteurs pouvant avoir a priori une conséquence sur l’os sont l’anémie et l’hyperplasie érythroïde compensatrice, l’hypoxie chronique et aiguë au moment des crises douloureuses vaso-occlusives, l’hyperviscosité sanguine, l’inflammation chronique. D’autre part, la dysfonction splénique induit une vulnérabilité aux infections bactériennes, notamment aux germes encapsulés (pneumocoques, méningocoque, Haemophilus influenzae) et aux salmonelles : Ces infections peuvent concerner les cartilages de croissance et entraîner des anomalies de croissance. D’étiologie certainement multifactorielle, un retard pubertaire et staturo-pondéral sont fréquemment décrits, et interviennent sur la minéralisation osseuse. Une hépatopathie, en partie anoxique, de moins en moins souvent liée à des hépatites transfusionnelles, et peut-être parfois aggravée par la surcharge en fer post-transfusionnelle, est parfois rapportée et pourrait diminuer la synthèse d’IGF 1. Les rôles respectifs de la sévérité de la maladie (notamment la profondeur de l’anémie et le nombre de crise vaso-occlusives osseuses), du degré de retard pubertaire et staturo-pondéral, de l’inflammation chronique, de déficits nutritionnels (protéiques, calciques, en vitamine D, voire en zinc..) sont en cours d’étude.
Les manifestations osseuses chroniques
Au niveau du rachis
Les corps vertébraux ont une transparence accrue. Des ostéopénies ou de véritables ostéoporoses densitométriques sont rapportées chez l’enfant et l’adulte, même si la prévalence est très différente selon les séries et encore peu claire dans la littérature. De véritables fractures-tassements peuvent survenir et être responsables de cyphose. Ces anomalies rachidiennes sont localisées préférentiellement sur le rachis dorsal inférieur et le rachis lombaire. Elles ont parfois responsables de douleurs rachidiennes intenses, dont le traitement sera symptomatique. En cas de fracture-tassement, un traitement anti-cyphose par corset a pu être préconisé.
Au niveau épiphysaire
L’ostéonécrose aseptique touche plus fréquemment les têtes fémorales et humérales. Les facteurs prédisposants ne sont pas bien connus. La prévalence de cette complication n’est pas non plus parfaitement bien établie, mais pourrait se situer jusqu’à 25% chez enfant. L’atteinte est souvent bilatérale. La radiographie est l’examen de dépistage. Elle doit être demandée chez tout enfant présentant une boiterie et/ou une douleur de hanche. L’examen clinique peut montrer une diminution de la mobilité à l’abduction et à la rotation interne. Les quatre stades radiographiques sont les mêmes que dans l’ostéonécrose non drépanocytaire. La radiographie peut être normale au début, ce qui fait préférer alors l’IRM, examen plus sensible, qui précise l’étendue et la localisation de la zone nécrosée, et objective parfois une revascularisation de certains territoires après un traitement adapté. Le traitement de l’ostéonécrose de hanche chez l’enfant drépanocytaire n’est pas codifié. On propose en règle d’abord une mise en décharge avec des cannes béquilles pendant la période douloureuse, puis une remise en charge progressive. A un stade plus avancé, une ostéotomie est proposée, précédée d’une période de traction si la hanche n’est pas souple. L’espoir est de retarder la pose d’une prothèse de hanche, dont les résultats sont grevés chez les patients drépanocytaires d’un risque élevé de descellements septiques ou aseptiques et de fractures sous prothèse.
Des infarctus osseux peuvent aussi concerner les têtes humérales. Les conséquences sont souvent modérées car l’épaule n’est pas une articulation portante.
Complications ostéo- articulaires aiguës
La pathologie ostéo-articulaire aiguë observée dans la drépanocytose est la conséquence à la fois de l’ischémie osseuse et des infections. Il est vraisemblable que des phénomènes d’ischémie osseuse préludent aussi bien aux infections qu’aux infarctus, les ostéomyélites étant alors la conséquence de la vulnérabilité à certains germes d’un os fragilisé par l’ischémie.
Manifestations ischémiques : l’infarctus osseux
Le syndrome pieds-mains
L’enfant affecté, âgé en général de 6 mois à 2 ans, présente une tuméfaction douloureuse des mains et/ou des pieds, qu’il ne mobilise plus. Il peut être fébrile. La radio n’objectivera dans un premier temps qu’une tuméfaction des parties molles ; après une à deux semaines, l’os concerné, métacarpe, métatarse, phalange proximales des doigts ou des orteils, peut s’entourer d’une réaction périostée circonférentielle alors que des images lacunaires peuvent apparaître sur la diaphyse.
Les crises des os longs
Ce sont les complications les plus fréquentes des syndromes drépanocytaires majeurs. Les infarctus touchent préférentiellement le fémur et l’humérus. Le tableau clinique tranche peu d’avec celui d’une ostéomyélite : le membre concerné est chaud, oedématié, extrêmement douloureux, immobile ; l’enfant peut être fébrile. Il existe parfois un épanchement articulaire contigu. Les examens complémentaires sont de peu d’aide puisqu’une hyperleucocytose est fréquente dans la drépanocytose et la CRP est parfois élevée dans une crise ischémique. La radio est normale au début d’une crise douloureuse mais peut montrer après une à deux semaines une réaction périostée. Sauf en cas de clinique très formellement en faveur d’une ostéomyélite, ce qui est exceptionnel, l’attitude est donc de mettre en place un traitement symptomatique de la douleur, hyperhydratation et antalgiques, de multiplier les examens cliniques et de renouveler les examens complémentaires.
Plus rarement, l’infarctus osseux peut concerner les vertèbres, les côtes, le sternum. Les crises affectant ces deux derniers sièges doivent inciter à une surveillance très accrue, car elles peuvent conduire l’enfant à hypoventiler pour réduire sa douleur, et peuvent favoriser un syndrome thoracique aigu. Plus globalement, toute crise douloureuse peut être compliquée par une déglobulisation, un syndrome thoracique aigu consécutif à une embolie graisseuse, ou bien sûr une surinfection de l’os ischémié.
Les radios, normales au moment de la crise douloureuse, peuvent objectiver après une à deux semaines une réaction périostée. A l’intérieur de l’os peuvent se juxtaposent des zones de radiotransparence et des condensations.
Les infections ostéo-articulaires
Tableau clinique
Des infections ostéo-articulaires ont été décrites chez l’enfant drépanocytaire dès l’âge de 8 mois. L’infection est électivement diaphysaire ; les os les plus touchés sont le fémur, l’humérus, les métacarpes, les vertèbres. L’atteinte est volontiers multifocale. L’enfant ayant une ostéomyélite se présente avec un membre douloureux qu’il mobilise peu. Le tableau typique d’une ostéomyélite est très rare : douleur sus-articulaire vive, fièvre élevée, impotence fonctionnelle, douleur trans-fixiante à la palpation. Bien plus souvent, les signes sont atténués, faisant hésiter entre un processus septique et une crise ischémique avec signes inflammatoires locaux. Le membre concerné est chaud, oedématié, sa palpation provoque un paroxysme douloureux. Une hyperthermie supérieure à 39°, des signes inflammatoires locaux très marqués sont plus en faveur d’une ostéomyélite, mais une ischémie osseuse est généralement fébrile. La diffusion de l’infection à l’articulation est soupçonnée sur le gonflement de l’articulation et la douleur à la mobilisation. Il est rare en fait que le tableau clinique soit assez net pour trancher d’emblée entre infection et infarctus.
Examens complémentaires
A l’arrivée du patient, le bilan biologique est le plus souvent peu contributif. L’hyperleucocytose habituelle (leucocytose moyenne dans la série française d’ostéomyélites : 19,9 x 109/l, extrêmes : 10,0-31 x 109/l) est peu différente des variations normales de la leucocytose chez le sujet drépanocytaire (12,0 ± 3,0 x 109/l). Une étude menée à l’Hôpital Henri Mondor chez 66 patients drépanocytaires adultes montre que la CRP au cours d’une crise douloureuse non surinfectée est à 64 ± 59 mg/l (extrêmes : 5-236) (B. Godeau, communication personnelle), ne permettant pas de trancher.
Des hémocultures sont indispensables chez un enfant fébrile, ainsi qu’une coproculture à la recherche de salmonelles et la ponction d’un éventuel épanchement articulaire ou d’un abcès sous périosté. Les modalités d’exécution des ponctions chirugicales doivent être discutées avec l’anesthésiste et le médecin référent de la drépanocytose. Les germes responsables d’ostéomyélites sont de façon très prédominante les salmonelles non typhiques, puis les staphylocoques, puis d’autres germes à Gram négatif (colibacille…). Le germe très nettement responsable de la majorité des arthrites est le pneumocoque, suivi par Haemophilus influenzae.
Les radiographies standard pratiquées au début des premiers signes sont le plus souvent normales : il arrive qu’elles montrent une tuméfaction des parties molles, aussi bien lors d’une infection que d’une crise douloureuse. Un épanchement sous-périosté n’est spécifique ni d’infection ni d’infarctus et n’apparaît que secondairement à la radio sans préparation. Les appositions périostées, qui ne sont pas plus spécifiques, apparaissent après 10 à 15 jours d’évolution.
Une scintigraphie au technétium 99m ne serait intéressante que dans les toutes premières heures d’évolution de la douleur, différentiant une hyperfixation en cas d ‘infection et une hypofixation en cas d’infarctus. En fait, les enfants consultent après avoir essayé des antalgiques à domicile, trop tard pour que la scintigraphie soit discriminante. L’échographie est beaucoup plus informative. Elle localise le décollement périosté quand il existe et guide la ponction chirurgicale.
Enfin, l’imagerie par résonance magnétique nucléaire ne nous est pas apparue contribuer au diagnostic différentiel précoce entre infarctus et infection. L’aspect de la zone nécrotique n’est en effet pas spécifique : cet examen est néanmoins utile pour préciser l’étendue des lésions, pour différencier nécrose et collection, et peut donc guider une éventuelle ponction.
En pratique, sauf exception, ni la clinique, ni les examens complémentaires ne permettent de distinguer au début une crise vaso-occlusive par infarctus osseux d’une ostéomyélite. Il faut donc dès les premiers signes 1) soulager le malade par des antalgiques appropriés et une hyperhydratation, 2) se donner les moyens de pouvoir, peut-être, avoir secondairement une preuve bactériologique (hémocultures, coproculture, écho si signes locaux nets et ponction si épanchement), 3) éviter de mettre d’entrée de jeu un traitement antibiotique à visée osseuse, sauf, bien sûr, si signes patents d’infection. En effet, l’évolution d’une crise osseuse ischémique est l’amélioration après quelques heures de traitement symptomatique. Si un traitement antibiotique a été introduit immédiatement, la rétrocession des signes cliniques et biologiques pourra être imputée aussi bien à l’antibiothérapie qu’à l’évolution habituelle d’une crise ischémique, et il sera difficile de juger de la durée de l’antibiothérapie à visée osseuse.
Le patient doit être revu cliniquement 2 à 3 fois par jour, la leucocytose et la CRP contrôlées tous les jours. La non amélioration, ou a fortiori l’aggravation des signes cliniques et biologiques sous traitement bien conduit, amènent à poser le diagnostic d’ostéomyélite et à commencer le traitement antibiotique. Dans une situation de doute diagnostique, il est important de ne pas attendre plus de 48 heures et au-delà de ce terme de poser le diagnostic d’ostéomyélite aiguë, même sans preuve formelle, plutôt que de laisser évaluer à bas bruit une infection osseuse.
Traitement
Le membre est immobilisé. En attendant le résultat des cultures, une biantibiothérapie intraveineuse probabiliste est débutée, associant par exemple Ceftriaxone (Rocéphine®) (100 mg/kg/j) + ciprofloxacine (Ciflox ®) (30 mg/kg/j) : IV 8 jours. Le relai sera pris par Amoxicilline + acide clavulanique (100 mg/kg/j d’amoxicilline) (Augmentin ®) PO ± ciprofloxacine (30 mg/kg/j) (à discuter cas par cas), pour une durée totale de traitement de 8 semaines.
En l’absence de traitement approprié, soit l’ostéomyélite se diffuse et devient une pandiaphysite, soit elle reste limitée et se chronicise. Une pandiaphysite requiert une trépanation et un nettoyage-drainage chirurgical. En cas de chronicisation, il faudra exciser chirurgicalement les séquestres.
Les anomalies séquellaires
Inégalités de longueur
Elles peuvent être séquellaires d’une infection ayant atteint un cartilage de croissance, ou consécutives à une hypovascularisation de ce cartilage de croissance, notamment au niveau de l’extrémité inférieure du fémur. L’arrêt de croissance peut aussi se faire au niveau des métacarpiens, notamment du 4ème.
Déviations d’axe
La plus fréquemment observée dans la drépanocytose est l’obliquité de l’interligne tibio-astragalien, qui serait la conséquence d’un freinage de la croissance de la partie externe du cartilage conjugal tibial inférieur. Cette anomalie est en général bien tolérée.
Séquelles neurologiques
Avant qu’ils ne soient systématiquement dépistés par Doppler trans-crânien, les accidents vasculaires ischémiques frappaient près de 10% des enfants drépanocytaires, et laissaient des séquelles motrices dans près de 80% des cas. Une rééducation locomotrice est donc parfois nécessaire pour ces enfants.

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